Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a en ce moment 12 milliards de dollars qui circulent sans bruit sur Morpho.
Douze milliards de dollars : est-ce suffisant pour partir à la retraite ?
Permettez-moi de vous expliquer la situation, car à première vue, cela semble totalement illogique. Il s’agit ici de prêts surcollatéralisés : pour chaque dollar déposé dans cette « machine à distribuer », vous récupérez généreusement 0,75 dollar. Alors, qui utilise vraiment ce dispositif ? Pourquoi immobiliser volontairement plus de fonds qu’on ne peut en retirer ? Cela paraît incohérent, presque comme le pire accord commercial jamais conclu. Pourtant, prenez le temps de voir qui en sont les utilisateurs et ce qu’ils en font : un phénomène réellement fascinant se dessine.
Voici l’ensemble des positions du deuxième plus grand coffre sur Morpho.
Des logos pour le moins atypiques.
Mais qu’est-ce que c’est ?
Observez attentivement : il ne s’agit pas d’un joueur imprudent misant ses économies sur des actifs numériques à haut risque, ni d’une baleine profitant d’écarts d’arbitrage entre plateformes. C’est un portefeuille assemblé avec soin, qui, en apparence, paraît presque… professionnel ? Stratégique ? Comme si son gestionnaire maîtrisait parfaitement son sujet ?
En réalité, il se passe ici quelque chose de remarquable…
Voici le fait marquant : huit des dix plus grands hedge funds mondiaux – ceux qui gèrent des centaines de milliards – suivent la même logique. Ils construisent des portefeuilles diversifiés, proches de la neutralité de marché, en couvrant systématiquement le bêta pour isoler leur alpha, puis appliquent un effet de levier à l’ensemble afin d’amplifier les performances. C’est le manuel du métier : la gestion sophistiquée des risques, associée à l’effet de levier, permet de transformer des gains modestes en rendements significatifs. Rien de sorcier, simplement la recette de la finance institutionnelle.
Là où le bât blesse : DeFi ne propose aucun effet de levier de portefeuille. Aucun teneur de marché automatisé de l’écosystème ne propose la fonctionnalité la plus courante chez tous les grands gestionnaires d’actifs institutionnels. Réfléchissez : nous avons bâti tout un système parallèle avec des teneurs de marché automatisés, des agrégateurs de rendement, des contrats perpétuels, des protocoles d’options financières, des marchés de prêt – toute l’artillerie – et pourtant, nous avons omis le principal levier de la gestion de portefeuille institutionnelle.
Quel rapport avec Morpho, qui ne propose même pas de prêt sous-collatéralisé basique, encore moins de marge de portefeuille sophistiquée à la hauteur des exigences institutionnelles ?
En réalité, la plupart des logos colorés présents dans les captures ci-dessus – ressemblant à des protocoles DeFi, mais avec une subtilité – sont en fait des fonds à neutralité de marché opérant principalement hors chaîne. Ce sont de véritables fonds, gérés par des professionnels qui déploient des stratégies sur les marchés traditionnels. La subtilité ? Ils émettent un token on-chain uniquement pour la distribution. C’est un habillage qui permet aux utilisateurs DeFi d’accéder à des stratégies off-chain sans la lourdeur administrative, la conformité, le KYC (Know Your Customer), les contrôles d’investisseur accrédité ou la lenteur inhérente aux fonds classiques.
Les gestionnaires des coffres Morpho sélectionnent ensuite ces tokens pour constituer des portefeuilles diversifiés de fonds off-chain neutres de marché. Ils agissent en véritables gestionnaires de fonds de fonds (funds of funds), choisissant les stratégies à intégrer, leur pondération, et l’équilibre du risque global. Les utilisateurs et investisseurs exploitent alors le coffre pour boucler l’effet de levier sur le portefeuille diversifié et neutre : dépôt de garantie, emprunt adossé, réutilisation en garantie du montant emprunté, nouvel emprunt, et ainsi de suite pour accumuler du levier sur ce panier de stratégies institutionnelles neutres de marché.
La machine distributrice à 0,75 dollar prend alors tout son sens : en pilotant une stratégie neutre générant des rendements réguliers et peu volatils, la possibilité d’appliquer un levier 3 à 4 fois par boucle multiplie un rendement annuel de 8 % en une performance bien plus attrayante, entre 24 % et 32 %. Comme le portefeuille sous-jacent est neutre et diversifié sur des stratégies non corrélées, le risque de liquidation demeure relativement faible, même avec un levier important.
DeFi a réussi à reproduire à la perfection les fondamentaux de la gestion d’actifs institutionnelle : diversification, neutralité de marché et effet de levier, le tout via le mécanisme le plus intelligent du secteur. Ce n’est pas élégant, ce n’est pas le schéma initial, mais cela fonctionne. Et les 12 milliards de dollars déposés sur Morpho prouvent que, dotés des outils appropriés, les acteurs parviennent à rebâtir le système financier dont ils ont besoin – même s’il faut pour cela du bricolage et des protocoles de prêt surcollatéralisé.